vendredi 16 mars 2012

Interdit au moins de 12 ans

Une petite anecdote tout à fait croustillante parce que véridique: en banlieue parisienne, une institution scolaire qui organise une sortie une fois par an pour emmener les enfants au concert. Le plus souvent avec les orchestres de Radio France (le Philharmonique ou le National) car ce sont eux qui proposent les tarifs les plus abordables pour les groupes scolaires. L'an dernier, l'organisatrice côté Radio France leur propose des concerts du Festival Présence. Après réflexion, les enseignants répondent "oui mais pour les enfants de plus de 12 ans uniquement".

entree_interdite.jpgAinsi donc la musique vivante serait comme la violence dans les jeux vidéo ou la pornographie: il est urgent d'en protéger nos enfants. C'est dangereux un compositeur vivant, c'est imprévisible, parfois même dissonant. Ça ne sent pas la naphtaline, parfois même ça sent le soufre. Pourquoi pas un violoniste qui improvise tant qu'on y est ?

Au risque de me répéter, il n'y a qu'en France qu'on trouve un telle hostilité à la musique vivante. Il ne s'agit pas de passivité ou d'indifférence, mais vraiment d'une détestation assez forte qui a tellement bien pénétré les esprits que des enseignants en arrivent à penser sans rire et tout naturellement que la musique de Britten, Strasnoy, Schoenberg, Stravinsky est dangereuse pour nos enfants.

Et au risque de me récolter un bon gros point Godwin bien mérité, la critique virulente et violente de la musique contemporaine a surtout été pratiquée par deux hommes politiques en Europe récemment: Hitler en Allemagne et Staline en URSS. Car le peuple, mon bon monsieur, n'a pas besoin d'une musique dégénérée. Il n'a pas besoin d'écouter des chansons subversives. Il n'a pas besoin d'entendre la violence de la société traduite par de grinçantes dissonances. Il n'a pas besoin d'opéras qui mettent en scène des viols et des meurtres comme Lulu d'Alban Berg ou Lady Macbeth de Mtsensk de Chostakovitch (note de bas de page: l'excellent Don Giovanni de Da Ponte et Mozart commence par un viol suivi d'un meurtre, mais passons). Le peuple a besoin d'une musique simple, positive, massive, d'une bonne musique de propagande qui lui fasse chaud au coeur et lui donne envie de donner sa vie pour la patrie et pour le führer.

On n'en est pas là, me direz-vous, mais en est-on si loin ? Une ado de 13 ans m'a raconté que d'après son père, c'était impossible d'aimer le classique et le jazz en même temps. Il faut choisir, mademoiselle. Je lui ai simplement répondu: écoute ce que tu veux et surtout fais-toi plaisir. En Europe surtout et en France particulièrement, nous aimons ranger la culture dans des rayons bien séparés, des containers soigneusement étanches: classique, pop, rap, contemporain, jazz, kletzmer, chanson française, techno... ceux qui franchissent les barrières sont dédaigneusement rangés dans le cross-over, autrement dit un style bâtard pour ne pas dire dégénéré.

Encore une anecdote ? Quand j'étais adolescent, lors d'un échange entre l'orchestre de mon conservatoire et un orchestre de jeunes américain, nous entendîmes Beethoven suivi d'une fantaisie symphonique sur les chansons des frères Sherman (écrites pour les films de Walt Disney). Ce qui avait suscité des commentaires acerbes de certains auditeurs atteints de classiquite aigüe. Et parfaitement injustifiée car pour autant que je m'en souvienne cette fantaisie symphonique était de très bonne facture. Quoi qu'il en soit, jamais un orchestre de jeunes français n'aurait osé ou simplement eu l'idée d'un telle programmation. De la musique écrite il y a moins de cent ans, signée d'un nom qui ne figure même pas dans les histoires de la musique ? Quelle drôle d'idée, vraiment !

lundi 5 mars 2012

Broadwood 1805

Si vous n'avez jamais entendu les pianoforte carrés de Broadwood (qui connurent un grand succès outre-Manche il y a deux petits siècles), jetez donc un coup d'oreille à cette vidéo où l'on voit et l'on entend L'Oiseleur des Longchamps dans une mélodie de Beethoven, AdélaÏde. Notez la position de la pianiste qui tourne le dos au public mais voit très bien le chanteur. Le son délicat et un peu aigrelet du Broadwood (qui est un authentique instrument de 1805 restauré, et non une copie d'ancien) n'a bien sûr rien en commun avec celui des pianos de concert d'aujourd'hui. La pianiste Aya Okuyama m'avait raconté qu'avec un piano ancien, le pianiste accompagnateur doit utiliser tout son instrument, notamment le solliciter beaucoup dans les passages forte qui n'auront rien de très puissant pour autant. Mais bien là tout l'intérêt de ce type d'instrument: comme avec la guitare, le clavecin ou la harpe, l'équilibre avec la voix se fait tout naturellement, le chanteur n'a pas besoin de forcer pour passer "au-dessus" du piano, et la pianiste n'a pas à sous-utiliser son instrument. Comme le timbre du piano (ancien comme moderne) change avec la nuance, un grand piano moderne utilisé entre les nuances ppp et mp ne sonne pas du tout comme un piano ancien entre les nuances p et ff.

Pour autant, ce type de piano n'est pas très adapté selon moi à d'autres pièces de Beethoven comme les Sonates. En rendant la partition de la Hammerklavier à son éditeur, Beethoven se vantait: "voilà qui donnera bien du fil à retordre aux pianistes dans 50 ans !". Il aurait pu dire 150. Toutes les évolutions du piano au XIXe siècle, jusqu'au pianos 1900 qui sont déjà fort proches des pianos d'aujourd'hui, peuvent s'expliquer comme les efforts conjugués des interprètes et des facteurs d'instrument pour trouver le son qui permettrait de jouer les 10 dernières Sonates de Beethoven. Plus de puissance, de vélocité, un ambitus élargi, des ambitions quasi symphoniques... il est manifeste en lisant les partitions que Beethoven avait imaginé le piano du XXe siècle. Ce Ludwig, il avait mauvais caractère, il était radin et coléreux, sourd comme un pot, mais quel talent tout de même !  

jeudi 1 mars 2012

Ledoux, Revueltes par le Philharmonique de Liège

Samedi 3 mars prochain aura lieu la création d'Ayl de Claude Ledoux, pour clarinette et orchestre (avec Jean-Luc Voltano en soliste). Un court extrait d'une répétition est disponible sur ioutioube, et un petit bout de documentaire sur RTC. Comme vous pourrez en juger par vous-même, cet Ayl n'est pas si doux et a des saveurs plutôt corsées, quoiqu'il exploite fort bien les qualités mélodiques de la clarinette. Laquelle est priée de ressembler autant que possible à un Duduk. Le tout dans un univers plutôt modal qu'atonal, avec une finesse d'instrumentation et d'écriture certaines.

Le programme comporte également la Nuit des Mayas (La Noche de Los Mayas) du compositeur mexicain Silvestro Revueltas, une oeuvre passionnante, écrite en 1939 qu'on a souvent rapprochée du Sacre du Printemps de Stravinsky, et dont le programme sur le site de l'OPL nous apprend qu'elle mobilise pas moins de 15 percussionnistes. Ainsi qu'une pièce de Mantovani, Finale, qui a été enregistrée par le Philharmonique de Liège pour aeon avec le concerto pour deux altos (déjà évoqué dans ce journal).

samedi 25 février 2012

Liszt: Sonate(s) par Marcel Cominotto

Bicentenaires obligent, après un disque Chopin en 2010, le pianiste et compositeur Marcel Cominotto rend hommage à Franz Liszt avec un album enregistrée fin 2011. Ce disque paraîtra très bientôt chez Azur Classical, et comporte l'incontournable Sonate en Si mineur,  ainsi que la "deuxième sonate" de Liszt, à savoir la Fantaisie "après une lecture de Dante", et pour finir la Vallée d'Obermann (ces deux dernières pièces étant extraites du recueil des "Années de Pélerinage").

Liszt_Cominotto.jpgL'intérêt de cette lecture de la Sonate tient selon moi dans le regard du compositeur-pianiste. Une connaissance intime de la partition née de son analyse approfondie lui permet de relier chaque fragment au tout, de donner un sens, une direction à chaque élément musical au sein d'une vision d'ensemble. Pour autant, ce n'est pas une version froide et intellectuelle, et j'y retrouve ce que j'aime chez Liszt, à savoir l'emportement, l'élan, les épanchements romantiques qui manquent parfois dans des versions discographiques trop sages, trop léchées. L'autre mérite de Marcel Cominotto est de nous rappeler la modernité de cette partition, en faisant ressortir les arrêtes assez vives, les dissonances, le côté abrupt de certains passages qui forme un contraste d'autant plus intéressant avec les évocations du paradis (souvent associé chez Liszt avec la tonalité de Fa# majeur). Conformément à la volonté de Liszt qui demandait que cette sonate soit enchaînée, c'est une seule plage de 27 minutes que l'on trouve la Sonate en si. Pas question de saucissonner ce chef-d'oeuvre façon ioutioube (ou façon Radio Classique, serais-je tenté de dire, tant cette station tend à éviter les morceaux qui durent plus longtemps qu'un clip de Madonna depuis son changement de direction). Pour en profiter pleinement, l'auditeur devra trouver une demi-heure dans son emploi du temps, débrancher son smartphone qui fait bip toutes les trois minutes, et faire un minimum de vide en lui-même afin de se plonger tout entier dans cette musique démesurée et géniale.

Nonobstant ce que je viens d'écrire sur le saucissonnage de la musique, mes lecteurs me pardonneront j'espère de leur présenter un extrait, la dernière page du "Quasi Adagio" (fa # majeur) suivi d'un "Allegro Energico" (si bémol mineur) en forme de fugue qui amène le retour triomphale du motif principal (en si mineur, bien sûr):

Fichier audio intégré

J'invite également les curieux à consulter le manuscript de Liszt sur IMSLP, dont l'écriture est elle aussi extrêmement énergique et expressive, et dont les nombreuses ratures en rouge montrent à quel point cette partition a été travaillée. Tout comme la Hammerklavier de Beethoven, c'est une armée de pianistes qu'il faudra pour venir à bout de cette terrible et grandiose sonate en si mineur.

Terminons ce billet par un mini-sondage chez nos lecteurs: quelles interprétations (live ou discograpiques) de la Sonate de Liszt vous ont le plus marqué ?

jeudi 23 février 2012

Le mépris... (suite)

Nous l'avons déjà dit dans ce journal, s'il y a bien une chose qui met les musiciens, le public et les critiques d'accord, c'est que les compositeurs sont nuls. Oh bien sûr, pas les "Grands Compositeurs" dûment estampillés, ceux qui ont droit à leur nom dans les histoires de la musique et leur buste en marbre dans les musée. Non, ceux qui respirent, ceux qui bougent encore, ceux qui s'obstinent à vouloir écrire de la musique, comme si c'était encore possible de nos jours. On a même inventé des néologismes pour mieux les rabaisser: "néo-tonals", "(post-)sériels", "minimalistes", "répétitifs", "bruitistes"... quel que soit leur style, une chose est sûre: ils ne trouveront pas grâce auprès des faiseurs d'opinion ni chez les bourgeois qui se gobergent à l'entracte en buvant des coupes de champagne à 10€... "cette pianiste, elle est merveillllleuse ! Je l'ai entendu à la Roque d'Anthéron dans Brahms ..."

En voici un signe parmi mille autres. Relisons ce court billet sur ResMusica intitulé Victoire de la musique défaite de l'audience et signé par un courageux collectif d'anonymes désigné par "la Rédaction". Taper sur les Victoires de la musique, c'est facile, tout le monde le fait. Taper sur les labels qui ont signé avec les lauréats (Virgin, Naïve) ça fait toujours bon genre. Mais ce n'est pas ça qui a retenu mon attention.

Petite devinette: parmi les nominés se trouvent un pianiste, une soprano, un tubiste, un accordéoniste, un altiste, un baryton, un violoniste, une harpiste, un compositeur. A votre avis, lequel de ces musiciens a droit a un grand coup de tatane en pleine gueule ? Le compositeur, bien sûr ! Le voilà renvoyé au "placard poussiéreux de la musique contemporaine bien-pensante et surannée"   dont il n'aurait pas dû sortir. 

Avez-vous saisi la subtilité de la rhétorique ? Les mecs qui jouent de la musique écrite il y a 200 ans, ils sont kool, ils sont chébran. Ils mériteraient de passer plus souvent à la télé. Mais le mec qui essaye d'écrire de la musique aujourd'hui, il a rien compris ! Ah le con ! Le vieux shnock, il n'est pas encore mort et déjà passé de mode ! Ah, l'affreux ringard !

Philippe Manoury (puisqu'il s'agit de lui) écrit de la musique depuis près de 40 ans, et le moins qu'on puisse dire est qu'il connaît son affaire. On peut aimer ou ne pas aimer le style, question de goût personnel, mais il est impossible de ne pas reconnaître la qualité de l'écriture. Ecoutons par exemple "Nuit" tiré de Fragments pour un portrait (1998). Cette pièce me rappelle un peu le célèbre Unsanswered Questions de Charles Ives car on y retrouve le contraste entre un arrière-plan sonore très calme constitué par les cordes qui jouent pianissimo en valeurs longues, et des interventions beaucoup plus énergiques et rythmés des instruments à vents et de la percussion. L'orchestration de "Nuit" est très fouillée et l'ambiance créée par le début prenante et même envoûtante.

Je vous invite à écouter également Partita I, pour alto solo et électronique live, une pièce récente qui a été créée par l'excellent Christophe Desjardins en 2006. Comme l'écrit john11inch qui a posté la musique sur ioutioube:

Typically, I strongly dislike works that attempt to blend old forms and new in such a way, but this piece is so incredibly well-written, and remains interesting past the kitsch (in fact, transcends it), I find myself particularly liking it, which speaks very highly to Manoury's craft.

En général, je n'aime pas les oeuvres qui essayent de mélanger les formes anciennes et nouvelles de cette façon, mais cette pièce est tellement bien écrite, et reste intéressante au-delà du kitch (en fait, elle le transcende), que je me prends à l'aimer particulièrement, ce qui montre vraiment la maîtrise qu'a Manoury de son art.

Une chose est certaine: aucun des minables qui ont écrit (à défaut de le signer) ce "billet de la rédaction" n'arrive à la cheville de Philippe Manoury intellectuellement parlant.

Une autre chose est certaine: si c'était Nicolas Bacri, autre compositeur nominé, dont le style est très différent de Manoury mais dont les qualités sont tout aussi évidentes, qui avait emporté le prix, ils auraient certainement trouvé quelque méchanceté à lui jeter. Néo-machin-chose ou je ne sais quoi d'autre.

Ces pitoyables musicographes me font penser aux serpents dont parle Nietsche dans Le gai savoir: ayant avalé trop de cailloux de par leur culture classique si complète, ils se traînent lourdement et ont perdu tout appétit pour la nouveauté. Mais pas complètement leur venin, on dirait.

(Note pour nos lecteurs: l'article de Natalie Kraft sur Rue89 est bien plus intéréssant et contient quelques remarques très fines et judicieuses dont les organisateurs feraient bien de s'inspirer pour l'édition 2013).

lundi 20 février 2012

Ne boudons pas les Victoires de la Musique Classique

Ce soir sur France 3 (et France Musique), les Victoires de la musique classique. Dans la liste des nominés, quelques têtes connues (l'altiste Antoine Tamestit, la soprano Patricia Petitbon, les compositeurs Nicolas Bacri, Karol Beffa et Philippe Manoury), d'autres que je n'ai jamais entendu comme le tubiste Thomas Leleu.

violoniste_bikini.jpgIl y a mille et une raisons de snober ce genre ce grand-messe télévisuelle. Pour commencer, le côté "Grande Finale" de Top Chef ou Miss France cadre assez mal avec la musique telle qu'on l'aime: c'est à dire le contact émotionnel entre les artistes et le public, la recherche de la perfection, l'authenticité et la simplicité. En bref, tout sauf le bling-bling. Et puis les choix du jury et du public, forcément arbitraires, vont consacrer des artistes pour la plupart excellents mais laisser de côté beaucoup d'autres qui sont tout aussi bons musiciens mais dont l'agent est moins doué pour le marketing. Et puis il faut se cogner Frédéric Lodéon, ce nouveau Léon Zitrone de la musique, pendant une heure et demie. Enfin, il faut compter avec la qualité de son du téléviseur moyen, capable de transformer le son du meilleur violoniste en un chuintement nasillard et mesquin. 

Cela étant posé, pourquoi bouder son plaisir ? Celui de voir la tête de tel ou tel musicien qu'on a entendu à la radio mais jamais vu ? De revoir tel autre qu'on avait particulièrement apprécié lors d'un festival l'été dernier ? De se laisser surprendre et peut-être séduire par un compositeur dont on ignorait jusqu'à l'existence ? On voit bien des vieux films ou des sosies de Claude François à la téloche, alors pourquoi pas un remake du Requiem de Fauré ? On regarde des séries débiles et des émissions de télé-réalité encore plus débiles, alors pourquoi pas un spectacle de qualité, même si son format n'est pas très adapté à la télévision, comme une pièce de théâtre ou un concert de musique classique ou contemporaine ? On a tendance à l'oublier tellement c'est devenu un robinet à publicité et le royaume des paillettes et des filles qui dansent à moitié nues sous les projecteurs multicolores, mais la télé, ça peut aussi être un moyen d'accès à la culture. Surtout la télé publique payée par nos impôts. S'il y a bien une réforme de Sarkozy que j'aurai soutenu sans réserve ces dernières années, c'est la malheureusement incomplète suppression de la publicité sur les chaînes publiques. Assortie d'une programmation totalement différente, qui ne cherche pas à copier TF1 ou M6 et à leur piquer de l'audimat mais à diffuser des contenus culturels de qualité: théâtre, musique, danse, arts plastiques.

Cette réforme n'ayant abouti que partiellement, il faut nous contenter, nous autres mélomaniaques et glottolâtres, d'une seule émission par an (deux si on ajoute le Concert du Nouvel An du MusikVerein de Vienne), et nous accommoder de son format. Oublionsle concours de beauté des interprètes ou des compositeurs, le sourire des "gagnants" et la grimace des "perdants". Oublions le trop bavard Frédéric Lodéon, les projecteurs et les caméras. Il nous reste l'essentiel: un peu de musique.

(illustration de ce billet: Angy'art)

dimanche 19 février 2012

Chostakovitch: Sonates pour Alto et Piano (Pierre Lénert, Éliane Reyes)

Annoncé dans un précédent billet, le disque de Pierre Lénert (alto) et Éliane Reyes (piano) consacré à Dimitri Chostakovitch est maintenant dans les bacs. Il permet d'entendre la sonate pour violoncelle et piano opus 40 dans une transcription de Pierre Lénert, ainsi que la sonate opus 147.

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vendredi 10 février 2012

Concertus interruptus

Comment réagir lorsqu'on est musicien et qu'un concert est interrompu par une sonnerie de téléphone portable ? Personnellement je me souviens d'avoir vu Pierre Boulez arrêter un orchestre entier et reprendre au début de la pièce avec l'air furieux. On peut aussi réagir avec un peu plus de légèreté, voire même d'humour, comme cet altiste Lukáš Kmiť qui jouait une suite de Bach (arrangement de la suite pour violoncelle en ut mineur) dans une église en Slovaquie et se lança dans une petite impro sur le fameux thème "Nokia"

Thème dont les lecteurs de ce journal qui sont tellement cultivés savent bien que nous le devons à un guitariste espagnol du nom de Tarrega (la pièce dont il est tiré s'intitule Gran Vals). Ce thème n'est d'ailleurs pas sans point commun avec les suites de Bach pour violoncelle seul car c'est une mélodie auto-harmonisée, c'est à dire qui n'a pas besoin d'accompagnement pour nous faire entendre un enchaînement de septièmes parfaitement bien préparées et résolues.

Grâce au choix d'un fabricant de téléphones suédois, ce petit bout de mélodie espagnole résonne jusque dans les églises de Slovaquie... c'est beau l'Europe.

Plus ringard, tu meurs !

Lu sur le blog de Djac Baweur (le « blog qui sert à que dalle »), un très long et néanmoins très intéressant article sur le thème « pourquoi le classique c'est ringard ? ». Si j'en désapprouve quelque peu les prémisses comme les conclusions, je recommande la lecture de ce portrait fouillé et documenté de l'état de la musique aujourd'hui.

Ce n'est pas, loin de là, le premier article de journal qui déplore la maigre place de la musique dite « classique » (qui en fait désigne une grande variété de styles et d'époques, le style « classique » viennois de Haydn, Mozart, Beethoven n'étant que l'un d'entre eux) dans la vie culturelle de notre pays, au concert, à la télé. En fouillant les archives du Nouvel Obs ou du Point des années 1980 ou 1990 on trouverait sans peine une foule d'articles développant les mêmes arguments : il n'y a jamais de concert classique ou d'opéra à la télé, à Berlin même les chauffeurs de taxis sifflotent du Beethoven en vous conduisant à la célébrissime Philharmonie, le système éducatif français est nul, on ne croise que des vieux et des bourgeois Salle Pleyel, etc, etc. Citons par exemple Jacques Drillon (« La musique classique se meurt ») ou encore le coup de gueule de Jean-Pierre Rousseau (« Passion honteuse ? »).

Ce qui fait le charme de ce billet est bien sûr le style inimitable de l'ami Djac et aussi sa longueur inhabituelle qui lui permet de faire le tour de toutes les explications possibles : culturelles, sociales, pédagogiques, historico-religieuses, politiques, financières... toutes sauf une : l'explication par la musique.

Il y a en effet un pré-supposé très fort dans cet article comme dans tous les autres : celui que la musique classique passionnerait certainement les foules si elles y avaient accès. Ce billet à tonalité militante qui commence par une longue liste de lamentations avant de laborieuses explications suivies d'une conclusion nécessairement optimiste pose toutes les questions sauf une : et si la musique classique était ringarde non à cause de facteurs extérieurs comme la (désastreuse) politique culturelle de la Mairie de Paris, mais à cause d'elle-même ? Et si Berlioz, Hummel et Jean-Chrétien Bach avaient perdu leur sex-appeal simplement parce qu'à 200 ans passés on n'est plus vraiment séduisant même si on peut avoir gardé un certain charme ?

J'ai déjà abordé le sujet sur le mode polémique (et ironique) dans ce journal, mais il est temps d'y revenir de manière à mettre les points sur les i. La musique savante occidentale vieillit, et elle vieillit mal. En se coupant de ses compositeurs qui ont été confinés dans des festivals dédiés au « contemporain » dûment étiqueté et autres ghettos, elle s'est privée des moyens de renouveler son répertoire et s'est transformée de musique tout court en musique « classique ». Or les classiques perdent leur capacité à nous parler lorsqu'ils ne peuvent plus dialoguer avec les créations d'aujourd'hui. Imaginez un théâtre où l'on ne jouerait plus que Molière et Racine, une littérature sans romans de la rentrée, un cinéma où l'on ne regarderait que les nanars des années 1940. Invraisemblable ? C'est pourtant ce qui s'est produit dans les salles de concert et maisons d'opéra. Le philharmonique de Liège qui a passé pas moins de 8 commandes lors de la saison dernière pour fêter ses 50 ans fait figure d'exception. Par comparaison, les créations à l'Opéra de Paris lors des 10 dernières années se comptent sur les doigts d'une seule main.

La sclérose n'atteint pas que le répertoire, mais aussi toute tentative de l'adapter, de le transposer, de l'interpréter au goût du jour. La vogue des « instruments d'époque » de la « musique ancienne » et des interprétations « historiquement informées » condamne avec violence toute relecture non conforme à un idéal d'authenticité absolue et de fidélité maniaque voire fétichiste à la partition. Les orchestrations de pièces pour orgue ou pour violon seul de Bach par Leopold Stokowsky ? Beuark !! Les concertos brandebourgeois au synthétiseur façon années 1960 par la très brillante Wendy Carlos ? Horreur !! Les adaptations de Bach, encore lui, au piano par Busoni ? Vade retro satanas !!

Rossini pouvait très bien ajouter ou retrancher un numéro à ses opéras à la dernière minute parce qu'un de ses chanteurs était malade, ou encore transposer une aria pour qu'il mette davantage en valeur la tessiture d'une prima donna. De nos jours on cherchera un remplaçant au ténor qui provisoirement des difficultés avec son contre-ut plutôt que lui permettre de chanter un ton plus bas. C'est que la matière musicale qui était vivante et mobile à l'époque où elle fut écrite est aujourd'hui morte et bien morte. Ce sont les musiciens qui doivent s'adapter au répertoire et non l'inverse. De même on voudrait que ça soit le public qui s'adapte à la musique « classique » plutôt que l'inverse.

Oui, la musique classique est ringarde. Elle est ringardissime, c'est sa raison d'être. Elle a tout fait pour le devenir et le rester. Pourquoi, dans ces conditions, s'étonner qu'elle n'intéresse qu'une partie du public ? Si on a brûlé les clavecins en 1789 durant la révolution française, doit-on être surpris que deux cents ans plus tard la guitare électrique ait davantage la cote auprès dès jeunes ? Trois cents ans après s'être lassé du son asthmatique des violes de gambe, qui voudrait y revenir sinon les nostalgiques du passé ? Faut-il vraiment s'inquiéter du fait que ces nostalgiques (qui restent bien souvent de doux rêveurs assez sympathiques en dépit d'un discours parfois agressif) soient minoritaires ? Pourquoi les jeunes des années 2010 auraient-il envie d'écouter autre chose que des chansons produites par des gens de leur âge, qui parlent le même langage, ont les mêmes préoccupations, expriment le même vécu ? Pour quelle raison vibreraient-ils en écoutant les cantates de Bach alors qu'ils ne sont ni Allemands ni luthériens et que le XVIIIe siècle se résume pour eux à quelques chapitres dans leur cours d'histoire ? Pourquoi pleureraient-ils en écoutant La Traviata alors que Violetta évolue dans un monde (celui des grands bourgeois du XIXe) qui leur est étranger, dont les valeurs morales et les codes sociaux leur échappent ?

On pourrait détailler d'autres causes secondaires de l'irrépressible ennui qui envahit nos salles de concerts (ainsi le disque allié au manque de renouvellement du répertoire, et le système des concours qui tend à former des clones et même des robots plutôt que des musiciens) mais la racine du mal c'est tout de même le conservatisme qui va bientôt achever de tuer toute forme de créativité et d'originalité dans la musique savante.

Bien sûr si on continue à jouer la musique de Bach aujourd'hui et à l'aimer autant (quand on la connaît) c'est parce qu'on y trouve une perfection du contrepoint, une liberté et une souplesse des lignes mélodiques à l'intérieur de la plus grande rigueur harmonique ; en un mot une beauté dont on ne se lasse pas. Ce critère (on ne s'en lasse pas) pourrait même servir de définition à ce qu'est un classique, dans tous les domaines de l'art. Mais il existe peut-être d'autres manières de rendre culte aux classiques que nous aimons que la reproduction scrupuleuse et historiquement informée au point d'être fétichiste et privée de toute apparence de vie.

Ceux pour qui la musique est non seulement un métier mais aussi une passion et qui cherchent des réponses à la question « pourquoi la musique classique c'est ringard ? » seraient bien inspirés de commencer par se regarder dans la glace. Car ce sont eux les plus grands coupables. Coupables de manque d'imagination, d'inventivité, de courage face au public. Coupables de n'avoir pas chercher à dépasser la formation inévitablement scolaire qu'ils ont reçue. Coupables de se contenter des partitions du catalogue, de chercher à jouer plus ou moins « comme le disque ». Mozart jouait du Mozart, Beethoven jouait du Beethoven et Liszt jouait du Liszt. Ils ont souvent pris des risques et essayé de se renouveler. En se contentant de jouer Mozart, Beethoven, et Liszt, les musiciens d'aujourd'hui sont fidèles à la partition mais pas à la tradition que ces glorieux ancêtres faisaient vivre. Les violonistes comme Catherine Lara ou Didier Lockwood qui jouent leur propre musique sont bien plus fidèles à cette tradition que ceux qui se contentent de jouer les concertos du « répertoire ».

Et les compositeurs, me direz-vous ? Ne seraient-ils pas bien inspirés de se regarder le nombril eux aussi et de s'interroger sur leur rôle dans la ringardisation de la musique savante et sa transformation sclérosante en « classique » ? Peut-être sont-ils coupables pour certains d'entre eux d'avoir accepté l'enfermement dans le ghetto du « contemporain », et pour d'autres, de se contenter des recettes de composition les plus éprouvées. Mais la voie est étroite pour eux et le public comme les musiciens ne leur pardonnent rien (ne parlons même pas des critiques qui sont aussi méchants qu'ignorants). Ils ont tôt fait de ranger les compositeurs dans l'une des deux catégories suivantes : « néo-classique », autrement dit : ennuyeux et sans intérêt, ou « avant-garde », c'est à dire : dissonant, prétentieux et imbittable. Et une fois l'étiquette « avant-garde » ou « néo-classique » apposée, ils se désintéressent bien vite de la musique elle-même et cessent de l'écouter.

Alors, ringarde, la musique classique ? Oui, bien sûr. Ringarde à en mourir, et d'ailleurs elle se meurt. Mais le plus inquiétant c'est que le ringard gagne sans cesse du terrain et semble promis à un futur grandiose. Le conservatisme en musique n'a jamais paru plus en forme qu'aujourd'hui. Aucun doute, l'avenir est aux ringards !

mercredi 8 février 2012

Robin, Adamek et Cendo par le quatuor Tana

Entendu samedi dernier (le 4 février), un concert du quatuor Tana avec trois pièces récentes de compositeurs relativement jeunes : Yann Robin, Ondej Adamek et Raphaël Cendo. Compte tenu du froid, le petit temple Saint Marcel est étonnamment bien rempli, et la proportion de compositeurs doit friser les 50%. Il y a même Michael Lévinas venu écouter ses (anciens) élèves.

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On commence par le deuxième quatuor de Robin, intitulé Crescent Scratches (le premier s'appelait Scratches, titre qui fait allusion aussi bien au frottement des archets sur les cordes qu'à cette technique des DJ qui manipulent des platines 33 tours – ou de plus en plus souvent aujourd'hui, des surfaces tactiles destinées à en reproduire les effets). Ce quatuor ne fait pas appel à l'électronique, cependant on voit une quantité respectable de fils pendouiller disgracieusement du fait que les Tana ont adopté des pupitres électroniques où les tournes de page sont commandées par des pédales – c'est trop la classe ce matos même si la petite taille des écrans incite plus à la compassion qu'à l'envie.

Et la musique, me direz-vous ? Ce quatuor fait appel largement sinon exclusivement au son écrasé, celui qu'on obtient en exerçant une pression excessive sur l'archet et qui fait penser à un mélange de cordages marins qui grincent et de chat qui s'est coincé la queue dans la porte. Le son écrasé est assez à la mode, on le trouve chez les spectraux (Grisey, Saariaho, Radulescu) mais aussi chez Crumb et tant d'autres. Son caractère fortement inharmonique (on distingue à peine une hauteur de son tant les partiels sont dispersés dans l'espace des fréquences) en fait bien sûr un élément de choix pour certaines esthétiques d'aujourd'hui, mais son emploi répété ne suffit pas nécessairement à faire un bon programme électoral. De fait la technique de Robin, qui nous explique dans le programme qu'il utilise des boucles semblables au loops de la musique techno, amène assez vite la lassitude devant le retour compulsif des mêmes figures instrumentales (principalement des tremolos et glissandos en son écrasé). D'autres maniérismes contemporains comme l'alternance boulézienne de traits excessivement rapides et de notes filées très longues (ou si l'on veut l'absence de valeurs rythmiques moyennes), ou encore l'usage quasi exclusif des dynamiques extrêmes (ffffff et ppppp) et des registres extrêmes (surtout du suraigu car les instruments du quatuor ne sont pas bien équipés pour les graves) ne suffisent pas à masquer un relatif manque d'idées. Ma voisine me fait remarquer que passé un premier moment de surprise voire de ravissement devant la surprenante mais très réjouissante agressivité du début, c'est au fond presque aussi répétitif que du Philip Glass. Peut-être la volonté d'être en permanence dans un paroxysme d'émotion et d'expressivité est-elle la cause de cette lassitude, la (bonne) musique se nourrissant de contrastes. Pour ma part même si je partage assez l'opinion de ma voisine, je ne m'ennuie pas trop car je vois avec plaisir les musiciens du quatuor Tana s'engager à fond dans cette partition on ne peut plus difficile, avec un enthousiasme et une énergie qui font vraiment plaisir à voir. On peut également féliciter ces musiciens pour avoir introduit une touche de couleur et de fantaisie dans l'habituelle (et totalement insupportable) tenue noire des concerts contemporains. Ah ces Belges, ces Belges. Plus je les connais et plus je les aime. Ils ont toutes les qualités des Français avec la simplicité et l'humour en plus.

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L'oeuvre qui suit est d'un musicien d'origine tchèque, Ondrej Adamek, qui a été fortement impressionné par un séjour en Espagne et a laissé certains traits du flamenco envahir son style. Les musiciens vont donc employer des plectres et des bottlenecks pour reproduire certains gestes typiques de la guitare, comme le raseguo (un balayage rapide aller-retour de toutes les cordes), ou encore frapper du pied par terre. Rien de tout cela n'est gratuit ou anecdotique. Ce quatuor est plein d'idées, de passion et de vie, instrumenté de façon très fine et très fouillée. Le travail harmonique est lui aussi très subtil : chacun des quatre instruments est accordé de manière spéciale afin d'avoir la signature harmonique d'une tonalité particulière (par exemple, si je me souviens bien, la b – ré – si b – fa pour le premier violon c'est à dire un accord de septième de dominante ou encore quatre hauteurs tirées des 7 premiers harmoniques naturels d'un si bémol). Adamek souligne dans la notice que ce quatuor est très exigeant pour les interprètes, non seulement à cause de la scordatura mais aussi à cause des phrases qui passent d'un instrument à l'autre note par note et demandent non seulement une grande précision mais aussi un vrai son d'ensemble. Ce dont je peux témoigner après avoir entendu les Tana jouer cette pièce (et la jouer vraiment bien à mon sens), c'est que les interprètes qui parviennent à passer la barre sont amplement récompensés par cette musique vraiment remarquable, raffinée et pleine d'élan. Ce quatuor est la bonne surprise de la soirée, et m'a donné une forte envie de découvrir les autres œuvres de ce musicien.

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Le programme se conclut par In Vivo de Raphaël Cendo, autre compositeur de ma génration (c'est à dire trentenaire) . Dans ce quatuor il (ab)use du son écrasé, qu'il appelle dans le programme « timbre – monde ». Durant la première partie de ce quatuor (divisé en trois de façon relativement classique : rapide – lent – rapide), le compositeur demande même aux musiciens d'enrober leur chevalet de papier aluminium, ce qui a pour effet de rendre le son encore plus inharmonique. Les similarités avec Yann Robin sont si nombreuses qu'on se demande lequel a influencé l'autre. Cette pièce me fait peu ou prou la même impression que les morceaux d'un autre quatuor, Birdy Nam Nam (dont les membres ne manipulent pas des violons mais des bidules électroniques et des platines 33 tours) : je trouve le travail sur le son plutôt intéressant, et la violence sonore assez stimulante, mais la musique trop répétitive, pauvre en idées et en contrastes. C'est peut-être une des caractéristiques du son écrasé qu'il ne se prête pas très bien à de longs développements. Par exemple lorsque la violoncelliste Jeanne Maisonhaute joue un tremolo verso ponticello, c'est à dire de l'autre côté du chevalet, je vois bien le geste instrumental car je suis à 3 mètres mais je n'entends pas tellement de différence dans le son produit par rapport au même geste de l'autre côté du chevalet. De même les glissandi modifient assez peu la couleur du son écrasé, et son caractère fortement inharmonique restreint les possibilités de travail harmonique. Ajoutez à cela un déficit de figures rythmiques suffisamment nettes ou articulées, et vous obtenez un passeport pour l'ennui. Ennui à nouveau mitigé par l'attitude des Tana dont l'engagement, la chaleur et la technique sont décidément dignes de toutes les louanges, et propres à réchauffer l'atmosphère plutôt froide de cet austère temple protestant.

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Au final, j'ai pu écouter les Tana en live pour la première fois et avec grand plaisir, ainsi qu'une œuvre passionnante (celle d'Adamek) sur trois écoutées, ce qui montre qu'on n'est jamais à l'abri d'une divine surprise de temps en temps.

En sortant j'ai croisé Krystof Maratka qui m'a appris qu'un disque monographique lui étant consacré venait de sortir (avec une pièce pour harpes et cordes ainsi qu'un quintette à vent): si Dieu le veut, je ne manquerai pas de l'écouter et d'en rendre compte dans ce journal.

(merci à Jean Radel de m'avoir permis d'utiliser les très belles photos qui illustrent cet article et représentent, dans l'ordre, Antoine Maisonhaute, Chikako Hosoda, Jeanne Maisonhaute, Maxime Desert)

samedi 4 février 2012

L'Oiseleur des Longchamps chante la cantate 22 de Bach les 11 & 12 février avec Euterpia

Le baryton L'Oiseleur des Longchamps (que les lecteurs de ce journal commencent à bien connaître sans doute) me signale deux concert Bach / Haendel avec l'ensemble Euterpia prochainement à Paris. Voici les détails du programme:

  • 11 février à 16h : Eglise Sainte Elizabeth 195 rue du Temple 75003
  • 12 février à 12h30 : Temple Saint-Marcel 24 rue Pierre Nicole 75005
  • Motets à la Vierge « Haec est Regina Virginum » hwv 235
  • « Ah ! Che troppo ineguali hwv 230 » de G.F. Haendel
  • Concerto pour hautbois de G.F. Haendel
  • Cantate bwv 22 « Jesus nahm zu sich die Zwölfe » de J.S. Bach
  • V. HOUSSEAU, soprano ; B. CUMMINGS, haute-contre ;
  • S. BEHLOUL, ténor ; L'OISELEUR DES LONGSCHAMPS, basse
  • T. OUDINOT, hautbois ; L. LALOUM & A. LAURENT, violons ;
  • S. HENGEBEART, alto ;
  • L. AUDUBERT, violoncelle ; S. BELIAH, contrebasse ;
  • E. SEYRANIAN, clavecin.

vendredi 3 février 2012

Chostakovitch: Sonates pour Alto et Piano (Pierre Lenert, Eliane Reyes)

Le vendredi 10 février prochain, l'altiste Pierre Lenert et la pianiste Eliane Reyes joueront la Sonate pour alto et piano op 147 de Chostakovitch ainsi que les Märchenbilder op 113 de Schumann au foyer du Théâtre du Châtelet (20h30, entrée libre). Dimitri Chostakovitch n'a écrirt qu'une sonate pour alto et piano (sa toute dernière oeuvre) mais Pierre Lenert a transcrit pour son instrument la sonate pour violoncelle et piano. Les deux artistes ont récemment enregistré un disque chez Integral Classic avec ces deux Sonates, que je n'ai pas eu l'heur d'écouter pour l'instant, et que je ne commenterai donc pas davantage.lenert_reyes_chostakovitch.jpg

"Effervescences" par le Quatuor Tana à Paris

Le quatuor Tana basé à Bruxelles et spécialisé dans la musique d'aujourd'hui vous invite les lecteurs parisiens de ce journal à braver le froid sibérien qui sévit sur la capitale pour venir écouter trois compositeurs aussi passionnants que peu connus :

  • Ondrej Adámek "Lo Que No' Contamo"
  • Raphaël Cendo "In vivo"
  • Yann Robin "Crescent Scratches"

Peu connus mais présents sur Youtube grâce à la captation vidéo pour Arte Live Web d'un concert pour le festival d'Aix en Provence en juillet dernier (Robin, Cendo). Vous voilà prévenus, c'est du contemporain qui gratte un peu. Tout ça se passe au Temple protestant St Marcel (24 rue Pierre Nicole), et les infos pour réserver des places sont sur Facebook (soyons modernes)

mardi 31 janvier 2012

Le projet "Under 30" du Kronos Quartet

Chacun sait que l'industrie du disque telle qu'on l'a connue n'est plus qu'un souvenir, et que les musiciens du XXIe siècle doivent regarder dans d'autres directions pour faire connaître leur travail et pourquoi pas arriver à en vivre.

Dans ce contexte, l'initiative du Kronos Quartet autour du projet "Under 30" est à saluer doublement. D'abord un ensemble qui fête ses 30 ans en organisant un appel à projets pour des compositeurs de moins de 30 ans montre bien par là que ses quatre musiciens ont gardé intacte l'envie de jouer, de découvrir et de faire découvrir la musique d'aujourd'hui. Ensuite la formule qu'ils ont choisi pour financer leur projet est vieille comme le monde car il s'agit de la souscription, et moderne comme tout car il suffit de trois clics sur un site internet pour participer. A l'heure où j'écris ce billet, il reste à peine quelques heures pour compléter la souscription, mais le montant souhaité par les artistes (10.000$) semble déjà atteint. Les souscripteurs qui apportent un certain montant se voient remerciés avec des albums MP3 ou même pour les plus généreux une carte postale avec un message personnel.

Alors que les subsides publics ou para-publics (fondations, bourses, prix, mécénat) ont tendance à rétrécir encore plus vite que le PIB de la Grèce ces temps-ci, la souscription, aidée par le "buzz" internet, pourrait faire son retour. C'est après tout un moyen pour les artistes de s'adresser directement à leur public en court-circuitant les intermédiaires traditionnels (agents, maisons de disque, organisateurs de concerts). Mais cela ne peut bien fonctionner que pour des musiciens ayant déjà une certaine notoriété, laquelle s'acquiert grâce au talent et au travail, bien sûr, mais aussi grâce auxdits intermédiaires. Pour les artistes peu connus, les barrières d'entrée subsistent.

Ce modèle économique pourrait-il remplacer celui du disque ? Est-ce que le groupe de rock ou l'ensemble de musique contemporaine de demain auront un site internet où tous les projets passés seront disponibles en MP3 gratuitement, avec la possibilité pour les mélomanes de mettre de l'argent dans les projets futurs ? Cela risque fort de ne pas être suffisant pour garantir aux musiciens un revenu décent, mais cela pourrait fonctionner assez bien en complément des concerts, qui pour moi sont et doivent rester au centre de la vie du musicien. Et ça me paraît plus crédible que les deux alternatives qu'on nous propose souvent et qu'on oppose, à savoir:

  1. La criminalisation des utilisateurs, et l'espionnage généralisé du trafic Internet et des disques durs. "Monsieur, vous avez la facture pour ce MP3 sur votre smartphone ?"
  2. La "licence globale" dont le processus de répartition ne pourrait être qu'aussi opaque et complexe qu'un circuit de blanchiment d'argent, et parfaitement inéquitable à l'arrivée, tout comme la taxe dite "copie privée" sur les CD vierges (j'y reviendrai).
Quoi qu'il en soit, les membres du Kronos Quaret méritent un bon coup de chapeau et tous nos encouragements (y compris financiers) pour la poursuite de leur projet.

samedi 28 janvier 2012

Cette censure qui me révulse...

Trouvé sur le 'plus' du nouvelobs (essentiellement une plateforme de blogs), un article assez stupide intitulé "cette grosse qui me révulse" à propos d'une pub pour un site de vêtements féminins 'à partir du 42'. Lu aussi, la réponse de la co-fondatrice du site qui fait simplement remarquer que les "grosses" ou les "rondes" ou appelez-les comme vous voulez, c'est un tiers des femmes aujourd'hui, et qu'on ne voit pas pourquoi ces femmes n'auraient pas le droit de s'habiller chic, de danser, d'afficher leur sensualité, de tourner des pubs pour des fringues voire même d'être heureuses, pourquoi pas ?

Pourquoi j'en parle sur ce blog ? Pas pour débattre de ce passionnant sujet de société ni même pour exposer mes convictions personnelles en la matière mais à cause d'une ligne des responsables du site qui me fais bondir et même hurler: 

Nous avons fait une erreur en publiant un billet intitulé "Cette grosse qui remue me révulse...". Billet rapidement retiré, mais vite remarqué.

Rapidement retiré... d'abord c'est une bêtise car c'est ignorer le fonctionnement d'Internet que de croire qu'il suffit de mettre un article hors ligne pour qu'il cesse d'exister. Et puis moi c'est la censure qui me révulse ! On peut admettre que l'article original comportait une dose de bêtise et de violence (et qu'il témoigne aussi d'un véritable lavage de cerveau dont sont victimes les femmes aujourd'hui et qui perturbe le rapport à leur propre corps). Mais le censurer c'est encore dix fois plus bête et cent fois plus violent.  

On trouvera toujours mille et une bonnes raisons de censurer; tout récemment c'est notre parlement qui a voté une loi stupide et liberticide visant à pénaliser la négation du génocide arménien. A force de s'interdire tout article pouvant heurter la sensibilité d'une minorité, est-ce qu'on ne va pas s'interdire de penser ? La liberté d'expression ne doit-elle pas inclure celle de dire des bêtises ou des méchancetés ? La laïcité inclut le droit de dire des choses que certains pratiquants de telle ou telle religion considéreront comme un blasphème. Si j'ai le droit d'écrire par exemple "Dieu n'existe pas, arrêtez de m'emmerder avec vos conneries et de vous battre entre Israéliens et Palestiniens", pourquoi ne pourrais-je pas également écrire "je déteste les naines" ou "les travelos du Bois de Boulogne me dégoûtent" ?

En admettant que Marie Sigaud (qui ironiquement faisait déjà allusion à une censure possible en commençant son billet par "En ces temps aseptisés, il convient d'aimer tout le monde et de respecter les différences") ait eu tort, la meilleure 'punition' n'aurait-elle pas consisté à laisser l'article en ligne pour que toutes les grosses de la Terre puissent l'insulter ou la sermonner librement ?

Pour ma part, et pour revenir à la musique, les lecteurs de ce journal peuvent compter sur ma détermination à dire librement "je déteste cette musique" quand c'est le cas. Quitte à changer d'avis quelques années plus tard. Et nonobstant le fait que je préfère dépenser mon temps à défendre la musique que j'aime plutôt qu'à attaquer celle que je n'aime pas, que ce journal est celui d'un musicien et non d'un critique ou d'un musicologue. Le journal de papageno comporte zéro pub, je paye l'hébergement de ma poche et n'en tire aucune rémunération directe ou indirecte: c'est le prix à payer pour une indépendance absolue à laquelle je reste attaché.

Quant à vous, mesdames, je vous laisse méditer sur ce vieux dicton de bistrot: "les hommes préfèrent sortir avec les maigres et coucher avec les grosses".

jeudi 26 janvier 2012

Mozart et Haydn par l'ensemble Philia

Mes amis de l'ensemble Philia vous invitent à un concert de musique de chambre le Samedi 11 février 2012 à 20h30 (EDIT le 6 février: le concert est reporté pour raisons de santé !!)

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Temple du Luxembourg
58 rue Madame, 75006 Paris
Métro Rennes, Notre Dame des Champs
RER Luxembourg

  • Joseph HAYDN
  • Quatuor à cordes en si bémol majeur op. 76 n° 4 « Lever de soleil »
  • Wolfgang Amadeus MOZART
  • Quintette avec clarinette en la majeur KV. 581 « Stadler »
L’ensemble Philía :
  • Samuel TRICOT, clarinette
  • Didier ORTEGA, violon
  • Catherine DEKEUWER, violon
  • Nicolas LEDERMANN, alto
  • Amélie EBLE, violoncelle
EDIT le 6 février: le concert est reporté pour raisons de santé.

mardi 24 janvier 2012

Fermeture de Megaupload: et la musique dans tout ça ?

On l'a appris il y a quelques jours, le site Megaupload a été fermé par les autorités américaines. Pour mémoire ce site encourageait assez activement les infractions au droit d'auteur car les utilisateurs qui apportaient les fichiers les plus "populaires" étaient rémunérés

Chez lez internautes habitués au téléchargement de films et albums gratuits (je place gratuits entre guillemets car les beaucoup payaient un abonnement à Megaupload pour plus de bande passante), les réactions ont été avant tout la recherche de solutions alternatives (qui ne manquent pas et ne manqueront jamais).

Chez les amoureux de la démocratie, qui sont nettement moins nombreux, c'est une inquiétude réelle et très fondée qui se fait jour. En effet c'est jeter le bébé de la liberté d'expression avec l'eau du bain, sous prétexte que l'eau du bain a été salie par les infractions au droit d'auteur. Rappelons que le droit d'auteur ne va pas de soi, qu'il a été introduit progressivement et avec certaines limites dans l'appareil législatif; et que les protections qu'il offre aux artistes (et surtout aux éditeurs et producteurs) n'ont de sens que dans la mesure où elles restent compatibles avec l'intérêt général. La commissaire européenne à la Justice l'a très bien formulé en rappelant queLa protection des créateurs ne doit jamais être utilisée comme un prétexte face à la liberté de l'internet. . Je vous renvoie à l'excellent billet de Maître Eolas sur les aspects juridiques de l'affaire.

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Et pour les musiciens, qu'est-ce que ça change ? Comme ironisait le chanteur Jonathan Coulton sur Twitter, "Y a-t-il d'autres musiciens comme moi qui voient l'argent AFFLUER EN MASSE depuis la fermeture de Megaupload ?".. Dans un article plus détaillé, le même chanteur détaille son point de vue, qui rejoint celui de Viviane Redding. A savoir que la liberté que procure Internet, les occasions de partage, de rencontre, de découverte artistique sont infiniment plus précieuses que les revenus des fabricants de disques. Coulson détaille notamment une notion intéressante de "piratage sans victime" c'est à dire sans impact négatif sur les ventes de disques ou de concerts. Et il constate qu'historiquement les musiciens ont très rarement pu tirer des revenus réguliers et conséquents de leur art: ainsi le fait qu'un certain nombre d'entre eux l'aient fait grâce à des médias comme la radio et le disque relève d'une époque peut-être révolue.

Et si la chute de l'industrie du disque pour faute d'inadaptation à un changement technologique massif pourrait chagriner les musiciens qui font de la pop (au sens large), elle n'aura aucun impact sur le disque de musique classique et contemporaine. Car c'est un marché de niche qui existe uniquement parce qu'une poignée de passionnés continue de financer souvent à perte des productions de grande valeur artistique mais d'un potentiel commercial limité. La logique purement commerciale des éditeurs fait bien partie des obstacles qu'on doit affronter, m'a confié un chef d'orchestre qui dirige un groupe de musique contemporaine à Bruxelles. Les partitions de musique contemporaine coûtent souvent très cher sans pour autant procurer des revenus décents aux compositeurs. En plus du prix excessif, le monopole produit souvent un service de très piètre qualité. Ne serait-il pas préférable pour les compositeurs et les interprètes de poster les PDF des partitions sur un site comme IMSLP ? Les compositeurs gagnent de l'argent avec les commandes et les droits d'exécution, non par les partitions qui sont tirées en trop petit nombre pour que ça soit rentable. Et de toute façon peu nombreux sont ceux qui en tirent un revenu suffisant pour éviter d'avoir une autre activité comme l'enseignement en parallèle.

Au contraire, je pense que les possibilités de partage gratuit ou quasi-gratuit de contenus numériques ouvrent aux artistes qui font de la musique contemporaine en particulier (compositeurs et interprètes) des possibilités nouvelles non seulement de faire connaître leur travail et de partager leur passion mais aussi de gagner plus d'argent (bien que ça ne soit pas leur motivation première). Mais pour cela il faut faire une révolution mentale et passer de l'économie de la rareté à celle de l'abondance, de la logique des éditeurs à celle des artistes. Il faut notamment que les musiciens désertent les rayons des sites marchands pour peupler ceux des sites alternatifs comme Jamendo ou Magnatune. Et peut-être le droit d'auteur est-il à revoir entièrement. Est-il vraiment raisonnable que les préludes écrits par Olivier Messiaen dans les années 1930 soient protégés jusqu'en 2060 et peut-être au-delà ? A qui un tel monopole profite sinon aux éditeurs et à des ayants-droit qui n'ont rien fait à part naître ? Au XXIe siècle, n'est il pas plus approprié pour un créateur de distribuer son travail sous une licence libre de type Creative Commons ? Et d'utiliser les matériaux ainsi fournis par d'autres créateurs dans ses propres oeuvres ? 
En résumé, le "piratage" (je préfère parler d'infraction au droit d'auteur car piratage est un terme marketing qui a été popularisé par l'industrie du disque) est inévitable: pour l'arrêter vraiment il faudrait mettre en place des mesures de surveillance tellement draconiennes qu'elles feraient passer les internautes chinois ou iraniens pour libertaires en comparaison. Ce qui serait disproportionné par rapport à l'objectif poursuivi. Et les artistes, qui sont les premiers bénéficiaires des nouveaux moyens de communication, en serait également victimes. Il reste donc aux musiciens à espérer que l'Hadopi restera ce qu'elle est déjà: un machin administratif d'une efficacité proche de zéro... 

Quatuor: une biennale qui tient ses promesses

Le programme de la 5e biennale de Quatuor à Cordes à la Cité de la Musique était fort alléchant: des ensembles très confirmés ou très prometteurs; une programmation inventive qui faisait honneur aux classiques du genre en restant ouverte à la modernité; un hommage à Wolfgang Rihm qui servait de fil rouge à l'ensemble de la semaine. N'ayant pu écouter que deux des 

A tout seigneur tout honneur, c'est au Quatuor Ardittti que revenait le privilège de créer le 13e quatuor de Rihm, jeudi 19 janvier. En un seul mouvement, il dure vingt bonnes minutes. Mes impressions à la première écoute: de bonnes idées, une grande maîtrise du discours mais quelques longueurs. Par moments ce quatuor me fait penser à Janacek, je ne sais pourquoi. Il est sans doute truffé de citations ou plutôt d'allusions comme souvent chez Rihm, mais ça n'est pas là que réside l'analogie. Les deux quatuors de Janacek déploient un lyrisme très tendu, au bord de la rupture; ceux de Rihm expriment plutôt un lyrisme désespéré, postérieur à la rupture, à travers une esthétique du fragment. Imaginez un homme qui vient de briser un objet précieux auquel il tenait beaucoup, et qui regarde les tessons d'un air hébété, incrédule.

Un mot sur les membres du Quatuor Arditti, dont c'était peut-être la centième création: en arrivant sur scène, Irvine Arditti avait le même sourire, le même enthousiasme que si c'était son premier concert. Les quatre musiciens ont joué ce 13e quatuor de Rihm avec autant de passion que de sérieux dans l'engagement. Et ce quatuor a été fort bien accueilli par le public, ce qui m'a fait penser que les préjugés sur la musique "contemporaine" étaient peut-être cela justement: des préjugés.

Ensuite ce sont les Ebène qui ont joué le 13e quatuor de Schubert et le 1er quatuor de Tchaïkovsky. Deux oeuvres de facture classique (forme sonate en 4 mouvements) mais très personnelles dans l'expression. Les mimiques de Pierre Colombet, premier violon, lorsqu'il joue, auraient quelques chose de comique si elles n'étaient pas le produit d'un état intérieur puissant et authentique. Cela fait vraiment plaisir à voir tellement il est immergé dans la musique, tellement il sait y plonger ses partenaires et le public. Et le résultat sonore est à la hauteur. Cependant je déplore l'acoustique assez sèche de cette salle des concerts qui laisse bien passer les violons en étouffant un peu les cordes graves, ce qui gâche un peu le plaisir.

Samedi 22 janvier c'est le Quatuor Hagen que j'ai pu écouter, dans un fort beau programme: Haydn (op 33 numéro 2), Bartok (numéro 4), Brahms (numéro 3), ainsi que deux pièces courtes de Wolfgang Rihm, Tristesse d'une étoile et Fetzen 2. Dans ce programme qui balaie presque trois siècles de répertoire, on serait bien en peine de prendre les Hagen en défaut: techniquement on frise la perfection absolue, musicalement cela parle autant aux sens qu'à l'intelligence. Dans ces conditions il n'y a plus qu'à se caler dans le fauteuil et à prendre son pied de la première à la dernière seconde du concert. Mention spéciale à l'altiste Veronika Hagen, dont les sonorités généreuses et tout en souplesses sont extrêmement séduisantes.

dimanche 15 janvier 2012

Un Stradivarius, sinon rien

Le nom de Stradivarius est connu bien au-delà du cercle des mélomanes ou des violonistes: un peu comme celui de Mozart ou Einstein, ce nom est l'objet d'un véritable culte qui l'a rendu célèbre de manière universelle. Il véhicule tout un imaginaire de perfection insurpassable, de génie visionnaire, de secrets de fabrication perdus, de nostalgie de ce qui aurait été un âge d'or du violon. Un seul exemple ? Je vous invite à une analyse stylistique rapide de cet article paru dans le Monde il y a deux ans: "Le mystère, un des plus épais de l'histoire de la musique, tenait depuis trois siècles".... "L'œuvre d'Antonio Stradivari tient de la légende"..."la perfection du travail"... etc

Voilà pour la marque... mais le produit ? Ne sommes-nous pas abusés par l'étiquette comme le sont bien souvent les amateurs de vin ? (mmmmh... du Mouton-Rotschild 1976, ma chère, quel régal !). Une chercheuse du CNRS (Claudia Fritz) et un luthier américain (Joseph Curtin) ont eu l'audace de réaliser un véritable test en aveugle pour savoir si oui ou non les violons anciens de Crémone sont meilleurs que ceux qu'on fabrique aujourd'hui (on peut lire le résumé en anglais et acheter l'article ici).

Comme ils le font très justement remarquer, on a souvent passé les Stradivarius et Guarnerius aux rayons X et autre spectromètres de masse pour déterminer la nature de leur vernis, l'épaisseur et la densité des bois, ou encore comparé leur série de modes propres ou leurs audiogrammes à ceux d'autres violons. Mais tous ces articles admettaient la supériorité des violons italiens anciens comme un fait acquis, cherchant à l'expliquer plutôt qu'à la mettre à l'épreuve. Or le seul test qui compte en définitive est celui de l'oreille. Si l'on fait écouter au public deux violons et que l'on vous demande: à votre avis, lequel est un Stradivarius ? ou plus simplement: lequel préférez-vous ? Si la réponse ressemble à un tirage à pile ou face, alors le mythe des violons de Crémone pourrait en prendre un sacré coup.

Nos chercheurs ont fait un peu plus que ça, puisqu'ils ont demandé à 21 violonistes de tester 6 violons (un Strad, un Guarnerius, et quatre instruments modernes) pendant 20 minutes chacun. Les violonistes portaient de lunettes noires afin de ne pas pouvoir reconnaître les violons anciens des violons modernes. Et globalement, ils se sont montrés incapables de distinguer sans erreur les violons anciens des modernes, et ont montré une légère préférence pour les violons modernes.

La radio NPR propose sur son site un mini-test avec extrait du concerto de Tchaïkowski joué sur un Stradivarius et un violon moderne, en invitant les auditeurs à se livrer eux-même au test en aveugle: cependant comme le remarque un des commentateurs, les extraits sont au format MP3 fortement compressé (64kbit par seconde, en mono), ce qui fait que les aigus notamment qui pourraient aider à distinguer les instruments passent un peu à la trappe.

Antoine Tamestit, altiste, Paris, 2008.


Alors, les Stradivarius, c'est que du marketing ? Cette étude appelle tout de même plusieurs remarques:

  • D'autres scientifiques auront certainement envie de recommencer l'expérience, peut-être avec un protocole différent, et des résultats qui restent à déterminer.
  • Les scientifiques et les luthiers étudient les violons Stradivarius depuis fort longtemps: on en connaît très bien la méthode de fabrication, les dimensions, la nature des bois utilisés, le vernis. Il n'est donc  pas si surprenant que les meilleurs luthiers contemporains arrivent à produire des instruments très proches des violons anciens de crémone au point d'être indistinguables à l'oreille. Et si la manière de fabriquer des violons n'a pas tellement évolué en 300 ans, les outils modernes et les progrès de l'acoustique peuvent fournir une aide précieuse aux luthiers d'aujourd'hui.
  • La lutherie du violon est aujourd'hui presque exclusivement consacrée à la reproduction de modèles existants: l'expérimentation y tient une place marginale. Au contraire à l'époque des Stradivari et Guarneri les instruments évoluaient rapidement: c'est en explorant le champ des possibles de manière audacieuse que les luthiers de Crémone ont trouvé la formule du violon. Le fait qu'il existe de très bons violons contemporains ne diminue en rien leur mérite
  • Peut-être faudrait-il demander à des ingénieurs du son ou à des critiques musicaux plutôt qu'à des violonistes de faire le test; en effet les violonistes professionnels ont assez souvent une audition qui se dégrade prématurément, comme la plupart des musiciens d'orchestre. C'est un cruel paradoxe de se dire que ceux dont le métier est de charmer l'oreille du public ont souvent une ouïe moins fine que la moyenne, mais c'est un fait bien documenté dont les chercheurs devraient tenir compte.
Pour terminer, une observation personnelle qui n'est étayée par aucune étude scientifique: le son dépend bien davantage de l'instrumentiste que de l'instrument. A chaque fois que mon professeur d'alto prend l'instrument d'un élève pour lui montrer quelque chose, je suis frappé car c'est le son de Pierre-Henri Xuereb que j'entends et non celui de l'instrument bon ou moins bon de son élève. On raconte ainsi que David Oïstrakh a commencé avec un violon très médiocre, ce qui ne l'empêchait pas d'avoir déjà un son très personnel et reconnaissable.

Le mieux qu'on puisse attendre d'un violon est simplement de ne pas faire obstacle à la vibration, de laisser l’interprète s'exprimer. C'est tout aussi valable pour d'autres instruments: si vous donnez un quart de queue coréen à un pianiste génial qui a un son à lui, le résultat sera passionnant au point d'oublier bien vite les limites de l'instrument. En revanche, le meilleur des Steinway ou Bösendorfer ne suffira pas à rendre un pianiste médiocre moins ennuyeux. La perfection d'un instrument est atteinte lorsqu'on parvient à l'oublier dès les premières notes pour n'écouter que la musique.

(en illustration de cet article, Antoine Tamestit avec son alto Stradivarius - il reste des centaines de violons signés par Antonio Stradivari mais très peu d'altos; par conséquent celui-ci est sans doute l'un des instruments à cordes les plus chers au monde)

PS: à lire sur le même sujet, ce billet de Victor Ginsburgh qui dresse un parallèle assez saisissant avec les oenologues, le jury des compétitions de patin à glace et les maintenant fameuses agences de notation. Et qui montre que dans tous ces domaines, le conformisme et les distorsions de jugement qu'il implique a de beaux jours devant lui.

vendredi 13 janvier 2012

Le flingueur qui aimait Schubert

Vu récemment en DVD, Le Flingueur (The Mechanic), un sympathique naveton qui remplit assez honnêtement sa fonction de nous divertir avec des courses de voitures, des explosions toutes les 10 minutes et de la viande froide au dessert. Jason Statham y incarne un tueur froid, méthodique, mercenaire sans états d'âme qui ne se fera pas trop prier pour exécuter son unique ami, lequel doit approcher la soixantaine et se ballade tout de même en chaise roulante.

Quel type de musique peut donc écouter un monstre pareil ? De la musique classique, bien sûr ! Une fois rentré dans son chez-soi de célibataire chic et friqué, ce maniaque qui aime tout contrôler et tout anticiper saisit un 33 tours sur l'étagère, et le pose sur une platine haute de gamme assortie d'un ampli à lampes. On entend alors résonner les premières notes du mouvement lent du 2nd trio avec piano de Schubert, lequel doit régulièrement figurer dans le top 10 des auditeurs de Radio Classique, quand il n'en occupe pas la première place, et a été utilisé dans bien d'autres films, à commencer par l'excellent Barry Lindon. On peut d'ailleurs apercevoir le matériel en question dans la bande-annonce car ladite chaîne hi-fi ne manque pas d'exploser au moment opportun, comme tout le reste du décor:

Le choix de ce tueur à gages n'a rien de surprenant. Certes après toutes ces scènes d'action intrépides, il aspire à un peu de douceur, mais pas n'importe comment. Il lui faut de la haute fidélité, du contrôlé, de la précision au millimètre. Ses loisirs sont réglés comme le sont ses missions, c'est à dire comme du papier à musique. Puisqu'on vous dit que c'est un maniaque !

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