Les amours douces-amères d'Astrée et Céladon

Vu au théatre du Châtelet, la nouvelle production de Pastorale de Gérard Pesson dont le Journal de Papageno avait annoncé l'arrivée imminente sur nos écrans. Les créations d'Opéra sont si rares et présentent de telles difficultés matérielles et artistiques qu'il faut commencer par saluer chaleureusement le travail des deux cents artistes qui on contribué à cette production, avant même de détailler mes impressions. En guise de prologue, bravo à tous !

  • L'histoire: Astrée et Célandon jouent à je t'aime - moi non plus au milieu d'une troupe de jeunes gens qui évoquent furieusement les candidats de l'Île de la tentation ou du Loft.
  • Le décor: faux moutons, faux oiseaux, fausses plantes vertes. L'impression de fausseté fait partie du projet car il s'agit de montrer la désillusion permanente des jeunes amoureux. Des maquettes filmées et projetées sur plusieurs écrans. Un acolyte asperge une fougère avec un pschitt-pchitt et hop ! il pleut. Très efficace, pas toujours de très bon goût, parfois un peu surchargé.
  • La musique: S'il fallait la résumer d'un mot, ce serait sans doute légereté. L'orchestre est utilisé comme un réservoir d'instruments solistes (dont guitare, clavecin, harpe, cornemuse, flûte à bec pour le côté champêtre, et une abondante percussion). Une écriture très concise où le timbre joue un rôle essentiel. On ne s'étale pas, on ne s'appesantit pas, on ne cherche pas d'effet de masse. Les phrases confiées aux instruments solistes font rarement plus d'une note (ce qui indisposait un peu ma voisine, mais pas moi). Le tout sonne très bien, très contemporain sans la moindre trace d'agressivité. Quelques citations comme l'adagietto de la 5e de Malher qui passent furtivement. Les nuances (celles qu'on perçoit dans la salle au moins) explorent surtout l'espace qui sépare le piano du pianissimo, et le pianissimo du silence. Voilà une musique qui sait nous charmer furtivement mais pas nous emporter, nous faire peur ou nous arracher des larmes. Du reste elle n'essaye même pas.
  • L'écriture vocale: Les lignes vocales sont souples et agréables à l'oreille (ça n'est pas si fréquent dans l'opéra contemporain), les choeurs sont un peu moins convaincants, difficile de savoir à la première écoute si c'est à cause de l'écriture ou de l'interprétation.
  • Le livret: découpé en 42 scénettes dont on peine parfois à saisir l'enchaînement. Gérard Pesson a sous-traité le livret, par petits bouts, à Martin Kaltenecker pour les dialogues et à Philippe Beck pour les monologues. Le contraste entre la prose fluide de l'un et la poésie riche et lourde de sens de l'autre est assez frappant, mais il n'aide pas à donner un sentiment d'unité. Du reste, on n'a pas forcément besoin de beaucoup de mots pour faire une scène charmante, une seule syllabe peut suffire:
  • Les chanteurs: deux anciennes de la Star Ac' viennent pimenter la distribution et lui apporter un peu de fraîcheur (et moins de fausses notes qu'on aurait pu le craindre). Quelques beaux airs de Judith Gautier (Astrée, soprano) et Olivier Dumait (Céladon, ténor). Marc Labonette (Adamas) a un beau timbre mais c'est un rôle qu'on donnerait plutôt à une basse qu'à un baryton.
  • La danse: des danseurs se mêlent aux chanteurs (le chorégraphe n'est autre que Kamel Ouali, devenu célèbre grâce à la star ac). J'aime bien ce qu'ils font mais on a parfois l'impression que compositeur, vidéaste-metteur en scène et chorégraphe ont travaillé en parallèle plutôt qu'en équipe, chacun contribuant avec le meilleur de son talent, mais sans considérer le résultat final. Lorsque les bruits de pas et les cabrioles rapides des danseurs s'entendent plus que l'orchestre qui joue pianissimo et dans un tempo lent, une impression mélangée se dégage de ces messages contradictoires. Et parfois la danse, le chant, la vidéo, le texte envoient trop de messages simultanés pour qu'on puisse tout suivre avec un seul cerveau.
  • L'impression finale: les héros de l'opéra sont des jeunes gens qui tentent de réenchanter le réel sans grand succè, nous dit le livret. On a du plaisir et on sourit souvent en voyant cette Pastorale gentiment ironique, mais on ne connaît pas le grand frisson. La chute de Céladon est trop soudaine et rapide pour être dramatique, la colère d'Astrée ne nous fait pas réellement trembler. Tout cela est voulu, naturellement, c'est le jeu de cette Pastorale douce-amère où les décors ont l'air aussi faux que les sentiments. Mais cela peut expliquer l'enthousiame plutôt modéré du public, où beaucoup ont applaudi avec plus de politesse que de conviction.
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