Répertoire de Mauricio Kagel aux Bouffes du Nord

Vu et entendu hier aux Bouffes du Nord, Répertoire, pièce de théâtre musical de Mauricio Kagel mis en scène pas Jos Houben, Françoise Rivalland et Emily Wilson.

La notice évoque des "flash inspirés" qui sont "autant d'apparitions sonores saisies dans l'immédiateté de leur théâtralité", autant avouer qu'elle ne nous renseigne pas beaucoup. Fort heureusement pour vous, chères lectrices, à la rédaction du Journal de Papageno, nous abhorrons la langue de bois. De quoi s'agit-il en pratique ? De cinq musiciens-acteurs qui utilisent des instruments aussi amusants qu'improbables à base de sphères de polyester, ressorts métalliques, tuyaux de plastique, objets quotidiens tout genre. Avec quelques notes de trombone, violon ou guitare, sans compter bien sûr la partie vocale (sifflements, cris, rires, etc). Tout cela est mis en scène, c'est à dire que le geste instrumental est travaillé autant pour la partie visuelle que pour le son.

Ce Répertoire ressemble à un gros canular mais le plus étonnant reste que ça fonctionne assez bien. Comme les facétieux normaliens le savent depuis Alfred Jarry au moins, un canular est une chose qui se prépare avec le plus grand soin. Rien n'est à prendre plus au sérieux qu'une bonne partie de déconnade. C'est assurément ce que font les cinq interprètes de ce Répertoire qui ont manifestement beaucoup travaillé et manipulent un instrumentarium insolite et divertissant avec aisance ainsi qu'avec une sorte de joie naïve. La joie que vous pouviez éprouver, chers lecteurs, lorsqu'à 5 ans vous tambouriniez sur le guéridon du salon ou torturiez le poupon en plastique de votre soeur. En écrivant cette pièce qui fleure bon les années 68 (écrite en 1970 je crois), Mauricio Kagel nous invitait à revenir aux sources même de la musique c'est à dire à la manipulation d'objets familiers qui peu à peu deviennent des instruments de musique. Et ça fonctionne assez bien, on finit par se prendre au jeu, par écouter avec gourmandise tous ces sons principalement inharmoniques (c'est à dire que ce ne sont pas des notes, on ne peut pas les identifier avec une hauteur de son bien précise). Le côté pro du compositeur apparaît très bien si l'on considère la duré de chaque apparition: Kagel sait très bien distinguer les sons dont on se lasse au bout de 2 secondes et ceux qui sont plus riches, qu'ont peu développer et travailler sur une minute entière. Comme Luc Ferrari avec d'autre moyens (la musique enregistrée), Kagel nous fait tout simplement entrer dans le cerveau d'un compositeur, hypersensible à l'aspect sonore de toute chose, attentif à tous les bruits de la nature ou de la ville. Il nous pousse à écouter différemment tous ces bruits familiers et pourtant étranges. "Quand un bruit vous dérange, écoutez-le" disait John Cage à ses élèves. Du coup la dame qui tousse au premier rang, le vieux du troisième rang qui gromelle, les rires du plublic, tout ça vient s'intégrer à l'ambiance musicale du spectacle plutôt que de constituer une nuisance. Puisque le bruit se fait musique, tout devient musique.

En bref, c'est bien maîtrisé, ça fleure bon les années 1970, ça ne dure qu'une heure, c'est divertissant, c'est infiniment moins cher qu'un concert de Lady Gaga, c'est à l'affiche jusqu'au 2 mars prochain et ça se tente assez bien. Seul bémol, l'horaire (19h), pas très pratique pour ceux qui travaillent ou qui ont des enfants. Pour ceux-là, on trouve une autre interprétation de la même pièce sur le décidément inépuisable ioutioube par le Kölner Ensemble für Neue Musik.

Commentaires

1. Le samedi 2 mars 2013, 22:04 par zvezdo

Merci pour ta note! j'ai vu Répertoire ce soir in extremis et ça m'a vraiment bien plu....